La piraterie en droit sénégalais
Le 2 novembre 2019, le cargo Bonita, battant pavillon norvégien, est attaqué par une petite embarcation qui fond sur lui à vive allure dans la zone de la rade du Port de Cotonou, la capitale économique du Bénin. En quelques minutes, les assaillants armés montent à bord à l’aide d’une échelle et s’emparent du navire. Sur les 19 membres de l’équipage, 9 marins philippins, dont le commandant du Bonita, sont enlevés puis séquestrés à bord de la vedette des pirates. Il s’agirait de la seconde attaque en 48 heures dans le Golfe de Guinée, puisque 4 membres d’équipage (de nationalités grecque, géorgienne et philippine) d’un pétrolier grec, auraient été emmenés par des pirates alors que le navire était au mouillage…
Il faut dire que le Golfe de Guinée, qui s’étend du Cameroun au Liberia et abrite les deux principaux pays producteurs d’or noir d’Afrique subsaharienne, le Nigeria et l’Angola, est devenu la région du monde la plus touchée par la piraterie maritime (et actes assimilés). Les assaillants détournent parfois les navires pendant plusieurs jours, le temps par exemple de piller les soutes ; souvent, d’importantes rançons sont exigées pour libérer l’équipage.
La piraterie dans le golfe a sérieusement perturbé cette voie de transport maritime international essentielle au continent, avec un coût estimé à plusieurs centaines millions de dollars pour l’économie mondiale. Un rapport publié en juillet 2019 par le Bureau maritime international (BMI) a récemment indiqué que 73 % de tous les enlèvements en mer ont eu lieu dans le Golfe de Guinée au cours du premier semestre 2019.
Bien que tous les États du Golfe de Guinée aient signé ratifié la Convention des Nations Unies sur le Droit de la mer du (Montego Bay, 10 décembre 1982) qui définit la piraterie, la notion est différemment entendue selon les États. Notamment, le droit sénégalais en adopte une conception plus large que la convention de 1982 et le Code CEMAC.
Selon la convention de Montego-Bay (art. 101), dont le Code CEMAC (art. 587) est très proche, on entend par piraterie l’un quelconque des actes suivants : a) tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire ou d’un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé : i) contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer ; ii) contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État ; b) tout acte de participation volontaire à l’utilisation d’un navire ou d’un aéronef, lorsque son auteur a connaissance de faits dont il découle que ce navire ou aéronef est un navire ou aéronef pirate ; c) tout acte ayant pour but d’inciter à commettre les actes définis aux lettres a) ou b), ou commis dans l’intention de les faciliter.
La qualification de piraterie est limitée aux actes illicites commis en haute mer ou dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État. A contrario, un acte illicite commis dans les espaces sous souveraineté d’un État membre de la CEMAC ne pourra pas être qualifié d’acte de piraterie ; il s’agira d’un simple acte illicite contre la sécurité de la navigation ou contre la sécurité des plates-formes situées sur le plateau continental. On remarquera cependant que le droit issu de la CEMAC est plus strict que la Convention sur le Droit de la mer, en ce qu’elle limite la nature de l’acte de piraterie à un acte de violence, à l’exclusion de la détention ou de la déprédation ;
La plupart des États de l’Afrique de l’Ouest, bien qu’ayant signé la convention de Montego-Bay, n’ont pas incriminé la piraterie maritime dans leur droit pénal national. De ce point de vue, le droit sénégalais fait figure d’exception. C’est en effet la loi n° 2002-22 du 16 août 2002 portant Code de la Marine Marchande, qui définit l’infraction de piraterie (art. 1er, § B) ; il s’agit du « fait pour un navire de naviguer sans titres de nationalité́ ou de posséder à titre permanent plus d’une nationalité́ ou de commettre l’un des actes suivants : acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire privé entre autres. » Concernant la répression, l’acte de piraterie est puni des travaux forcés à temps de dix à vingt ans et d’une amende de 1.000.000 à 10.000.000 francs CFA.
Par rapport à la convention de 1982, on remarque que le droit sénégalais adopte une conception plus large de la piraterie puisque l’infraction sera également constituée par la navigation sans titre, ou lorsque l’acte illicite est commis dans un espace maritime autre que la haute mer ou un lieu non soumis à une souveraineté étatique.